L’acte pédagogique est d’abord une relation qui s’établit entre un enseignant et un apprenant. Et se présenter semble être un préalable à toute bon début de relation pédagogique. En effet, si l’on prend en exemple l’enseignement en présentiel, se présenter n’est-il pas le premier acte que l’enseignant fasse en entrant dans sa classe une fois ses apprenants salués et la bienvenue au cours souhaitée ? Dans le cadre d’un enseignement à distance où l’anonymat peut s’imposer de prime abord, l’établissement de ce premier lien social entre enseignant et apprenant semble une étape indispensable. Cette première présentation peut se faire par écrit, mais elle sera certainement rendue plus vivante par la vidéo comme on va le voir au travers de l’étude de différents selfies vidéo tutoraux. Les selfies vidéo tutoraux qui illustreront ce chapitre présentent des modalités variées. Certains ont été réalisés en en groupe de deux, d’autre sont individuels. La plupart des tuteurs sont en formation, l’une est une enseignante experte. Enfin, certains selfie vidéo ont été réalisés en temps de confinement lors de la pandémie du covid 19.

Définition

Le selfie vidéo tutoral est une vidéo de présentation d’un enseignant ou d’un tuteur. Il est un autoportrait de soi à destination d’apprenants, une manière de mettre en scène une certaine représentation de soi dans le monde et d’établir une première connexion avec ceux qui seront des partenaires dans une relation pédagogique, le plus souvent en ligne et à distance. Il présente les caractéristiques du selfie et du vlogue tout en étant un genre tutoral original.

Caractéristiques

Selfie et vlogue

Le selfie vidéo s’apparente d’une part au selfie et à l’autoportrait par l’orientation de la caméra tournée vers soi et le choix du décor qui entoure – « le selfie n’est pas seulement un autoportrait mais un autoportrait de soi dans le monde » (Allard, 2014 : 126) – et d’autre part au vlogue par l’intimité choisie qu’il dévoile. Dans une approche singulière, l’enseignant-tuteur met ses compétences vidéastes amateurs à contribution afin de construire un ethos personnel et professionnel (Combe et Cappellini, 2021).

Lieux de tournage

Tout d’abord, le choix du lieu de tournage est important : en extérieur ou en intérieur, dans un lieu fixe ou en mouvement. Il peut s’agir de lieux symboliques ou emblématiques pour l’enseignant-tuteur, ayant trait à ses goûts, comme un musée, à son environnement quotidien comme son université ou sa ville, à son espace intime comme son bureau ou sa chambre.

Dans l’exemple ci-dessous, la tutrice a choisi de se filmer dans différents lieux de la ville d’Aix-en-Provence qu’elle affectionne tout particulièrement : un jardin, la bibliothèque municipale et un musée. C’est aussi pour elle le moyen de présenter son goût pour l’art et la lecture.

Dans l’exemple ci-dessous cette enseignante experte a choisi de se présenter assise à son bureau à l’université.

Enfin, en temps de confinement, les tuteurs n’ont eu d’autre choix que de se filmer dans leur intérieur. On observe cependant une certaine variété dans le choix de ce qu’ils ont montré de leur intimité (ou pas …)

(Images à venir)

Cadrage

Le cadrage est également important. Si un plan rapproché poitrine est souvent le cadrage adopté, un plan moyen (plan pied) peut aussi être adopté. Dans les exemples ci-dessous, on observe un cadrage similaire – un plan rapproché poitrine – pour les deux exemples avec une légère contre-plongée sur les deux tutrices.

Dans l’exemple ci-dessous, la tutrice a opté pour un cadrage en (très) gros plan dans sa chambre d’étudiante dans une forme de vlogue intimiste (l’adresse directe à l’apprenant renforce encore cette impression).

Scénario

Un scénario plus élaboré peut être imaginé comme un reportage à travers différents lieux de la ville comme on l’a observé à la figure 1. Un jeu de questions-réponses peut aussi être mis en scène au travers d’un dialogue entre la tutrice et une voix off comme dans l’exemple ci-dessous :

La tutrice répond à la voix off de la caméra qui l’interroge sur ses goûts « Langues ? … Les langues que je parle ? ».

Enfin, selon l’étendue des compétences vidéastes de l’enseignant-tuteur, on peut aussi imaginer un tournage et un montage plus élaboré comme dans l’exemple suivant où la tutrice narre sa journée type.

Pour visionner l’intégralité du selfie vidéo de Carole (© Carole Seard) :

Costumes et humour

Les vêtements sont ordinaires sauf pour l’exemple du milieu où les tutrices ont choisi de porter un accessoire décalé : un bonnet tête de renne qui attire immédiatement l’attention du spectateur. Théâtralisation « apprendre des choses avec vous », « espère pouvoir partager tout cela avec vous ». parfois avec une certaine théâtralisation : la main sur le cœur

Enfin, l’aspect amateurisme, pour rendre plus horizontale la relation, peut encore être mis en évidence dans un montage humoristique qui souligne les ratés du tournage comme dans les deux exemples ci-dessous – en noir et blanc, dès le début de la vidéo ou à la fin.

Plurilinguisme et sous-titrage

Des sous-titres en français ou plurilingues, qui dans un contexte d’enseignement à un public allophone, peut être bienvenu pour un premier contact et aider la compréhension ou encore faciliter la pratique sociale commune de la lecture silencieuse de vidéo en ligne.

Ethos amical et professionnel

L’adresse aux destinataires est récurrente dans le discours des tuteurs et l’accent est mis sur le partage et la rencontre entre les différents partenaires (« on a très hâte de commencer le tutorat avec vous », « apprendre des choses avec vous », « espère pouvoir partager tout cela avec vous », parfois avec une certaine théâtralisation : la main sur le cœur « Pendant ce semestre vous allez pouvoir nous rencontrer pour étudier le français en ligne avec nous ».

En tant que premier contact avec les apprenants, le selfie vidéo tutoral laisse transparaitre l’ethos du tuteur-enseignant qui peut aller d’une dominante plus sérieuse et proche d’un ethos tutoral professionnel à une attitude plus décalée, mais dont le but semble d’établir dans tous les cas une relation de confiance et de donner envie aux apprenants de venir à la rencontre du tuteur-enseignant.

Dans le cas d’une enseignante expérimentée, on observe qu’elle choisit son bureau à l’université comme arrière-plan du selfie vidéo et qu’elle adopte un ton professionnel, amical avec des pointes d’autodérision « Je sais pas si je vais savoir faire ça portrait vidéo j’ai jamais fait ça en fait ». Elle alterne les moments où elle parle de ses thématiques, de ses projets mais aussi de ses doutes et des difficultés qu’elle a pu rencontrer. Elle met en avant les qualités du groupe auquel elle s’adresse, groupe qu’elle connaît déjà.